L’organisation vue comme une prison psychique

Temps de lecture : 4 minutes
L'entreprise vue comme une prison psychique

Le carcan comme prison psychique constitue une des 8 « images (ou métaphores) de l’organisation » de Gareth Morgan.

L’organisation est vue comme un moyen d’influencer le psychisme des individus de façon consciente et aussi inconsciente.

L’individu se vit ici comme « emprisonné » par les idées, les images et les pensées communiquées par son environnement de travail, mais aussi social et sociétal. L’apparence (ce qui est donné à voir ou porté à sa connaissance) est différente de la réalité.

Les êtres humains sont prisonniers de leur propre histoire psychique individuelle et collective.
L’expérience de l’adulte comme la reproduction des mécanismes de défense contre l’angoisse dans la petite enfance peut engendrer chez l’individu :

  • Un sentiment de persécution, dépression, deuil et culpabilité
  • La mise en œuvre de techniques de clivage, de projection, d’introjection, d’idéalisation, de dénégation détermine nos rapports avec l’extérieur
  • La nécessité de gérer son angoisse en adoptant des comportements de défense différents :
    • La dépendance en recherchant le chef, celui qui va le rassurer, calmer ses angoisses.
    • L’attente du messie, d’une situation qui dissoudra ses angoisses
    • L’attaque en utilisant le groupe (ses collaborateurs, ses collègues, sa hiérarchie) pour projeter ses propres peurs sur un ennemi (bouc émissaire)
    • La fuite en se réfugiant dans des activités extraprofessionnelles ou en s’isolant de ce qui le fait souffrir.


L’inconscient ne concerne pas seulement les individus, mais aussi les entreprises dans leur fonctionnement interne.
Kets de Vries et Miller ont mis en évidence les conséquences que peut engendrer la personnalité d’un dirigeant sur le fonctionnement de l’entreprise dans son ensemble et sur le climat qu’il y règne. Ils ont pu noter un certain parallélisme entre la pathologie de l’individu, dirigeant de l’entreprise et la pathologie de l’organisation. Dans « L’entreprise névrosée » (voir article), Kets de Vries a défini des syndromes.

Les 5 types de syndromes caractérisant le dysfonctionnement des entreprises liés aux comportements névrotiques de leurs dirigeants :

1. Paranoïa (défiance, calcul, insécurité) ⇒ Absence de stratégie concertée, désillusion parmi les managers et atmosphère de suspicion chez leurs subordonnés.

2. Manie (perfectionnisme, dogmatisme, logique interne) ⇒ tradition forte et stratégie désuète. Dérèglements bureaucratiques, rigidités et réponses inadaptées.

3. Hystérie (excès d’émotion, inconséquence) ⇒ Stratégies incohérentes entrainent un gaspillage des ressources. Médiocrité du rôle joué par les managers

4. Dépression (sentiment de médiocrité, sclérose) ⇒ Stratégies périmées et sclérose de l’organisation.

5. Schizoïdie (indifférence au présent et au futur). ⇒ Stratégie incohérente ou hésitante. Défaillance du commandement. Climat de suspicion et de méfiance qui entrave la coopération.

Tableau détaillé des styles névrotiques et des conséquences organisationnelles

Style névrotique Caractéristiques Avantages éventuels Faiblesses potentielles
L’organisation
paranoïaque
Suspicion de défiance à l’égard d’autrui.
Hypersensibilité et hypervigilance.
Prompte riposte contre tout ce qui est
ressenti comme une menace.
Recherche excessive de motifs cachés et de
significations particulières.
Intensité de l’attention et de la concentration.
Froideur, affirmation d’objectivité, de
rationalité.
Bonne connaissance
des dangers et des
occasions à l’intérieur
et à l’extérieur de la
firme.
Réduction des risques
sur le marché par la
diversification
Absence de stratégie
concertée, définie, cohérente
– les compétences ne sont
pas assez caractérisées.
Insécurité et désillusion parmi
les dirigeants de second rang
et chez leurs subordonnés à
cause de l’atmosphère de
suspicion.
L’organisation
compulsive
Perfectionnisme, souci de détails insignifiants.
Volonté opiniâtre du sujet de plier autrui à sa
ligne de conduite.
La relation à autrui n’est vue qu’en termes
de domination ou de soumission. Absence
de spontanéité, incapacité de se détendre.
Méticulosité, dogmatisme, obstination.
Précision et finesse des
contrôles internes ;
efficacité de
l’exécution.
Stratégie commerciale
bien intégrée et ciblée.
L’étreinte de la tradition est si
forte que stratégie et
structure deviennent désuètes.
La programmation est trop
extensive, de sorte que les
dérèglements
bureaucratiques, les rigidités
et les réponses inadaptées
se banalisent.
L’organisation
théâtrale
Dramatisation du comportement : excès
dans l’expression des émotions, tentatives
incessantes pour attirer l’attention d’autrui.
Préoccupations narcissiques.
Besoin impérieux d’activité et de sensations
fortes.
Autrui est tantôt idéalisé, tantôt dévalorisé à
l’extrême.
Exploitation et abus d’autrui.
Inaptitude à la concentration ou imprécision
de l’attention.
Capable de donner
l’impulsion nécessaire
pour le bon démarrage
d’une firme.
Quelques bonnes idées
pour revigorer les
firmes affaiblies.
Stratégies incohérentes,
inconséquentes, qui
comportent un facteur de
risque particulièrement élevé
et entraînent un gaspillage
inconsidéré des ressources.
Politiques d’expansions
imprudentes et dangereuses.
Médiocrité du rôle joué par
les responsables de second
rang.
L’organisation
dépressive
Sentiment de médiocrité, d’indignité, de
culpabilité ; autoaccusation.
Impression d’impuissance, d’être à la merci
de l’événement ; détresse, désespérance.
Affaiblissement de l’aptitude à la pensée
claire.
Manque d’intérêt et de motivation.
Incapacité d’éprouver du plaisir.
Efficacité des
processus de
fonctionnement interne.
Stratégie centrée.
Stratégies périmées et
sclérose de l’organisation.
Confinement sur des
marchés moribonds.
Faiblesse de la position
concurrentielle à cause de la
médiocrité des lignes de
produits.
L’organisation
schizoïde
Indifférence, abstention, retrait. Sentiment
d’éloignement.
Défaut d’émotion ou d’enthousiasme.
Insensibilité à l’éloge ou au blâme. Manque
d’intérêt pour le présent ou le futur.
Apparence de froideur, d’impassibilité.
Les dirigeants de
second rang participent
à l’élaboration et à la
formulation de la
stratégie ; toute une
diversité de points de
vue peut s’exprimer
et se confronter.
Stratégie incohérente ou
hésitante. Les décisions
résultent moins de la
considération des faits que
de négociations entre forces
rivales. Défaillance du
commandement.
Climat de suspicion et de
méfiance, qui entrave la
coopération.

Conclusion

Tous les acteurs (dirigeants, managers, salariés) sont pris dans leurs histoires personnelles et celles que les collectifs (société, direction de l’entreprise, ligne hiérarchique …) veulent leur faire jouer.

Cette dimension devra être prise en compte lors de changement organisationnel dans l’entreprise pour comprendre les éventuelles « résistances » aux changements.
On peut aussi y croiser la manipulation quand l’organisation utilise, tout à fait délibérément, les mécanismes de défense des individus contre ses angoisses pour renforcer l’investissement dans le travail. L’entreprise « prend en charge » alors la souffrance de l’individu à ses propres fins.
Par exemple : l’entreprise va pouvoir « solliciter » l’individu, car elle répond, en échange, à ses besoins de sécurité, ce qui assure sa survie.

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